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Assurance construction, subrogation et réception sans réserve

Affaires - Assurance
27/05/2022
Par un arrêt du 11 mai 2022, la Troisième chambre civile rappelle que l'assurance obligatoire de responsabilité décennale ne garantit pas les désordres apparents qui, quel que soit leur degré de gravité, sont couverts par une réception sans réserve et que le subrogé ne peut avoir plus de droits que le subrogeant.
Faits et solution

En l’espèce, un couple désirant aménager une construction existante a souscrit une assurance dommages-ouvrage auprès de la MAF. L’activité de la maîtrise d’œuvre a été confiée à une personne, puis reprise par la société Philarchi, assurées toutes les deux auprès du même assureur. Le lot gros œuvre ravalement a été confié à la société Dematteo, assurée auprès de la SMABTP.

La réception s’est faite par lots, pour certains avec réserves. Se plaignant de désordres, le couple a assigné en réparation les intervenants à l'acte de construire et leurs assureurs.

L’assureur du maître d’œuvre, la SMABTP, fait grief à l’arrêt des juges d’appel de condamner son assuré à garantir la MAF à hauteur de la moitié de la condamnation prononcée contre celle-ci. La cour estime en effet que les désordres étant de nature décennale, « la MAF subrogée dans les droits du maître de l'ouvrage bénéficie de la présomption de responsabilité de l'article 1792 du code civil ». Or, objecte l’assureur de la société Dematteo, « les désordres, qui certes portaient atteinte à la solidité de l'ouvrage et le rendaient impropre à sa destination, n'étaient pas de nature décennale, faute d'avoir été cachés lors de la réception » et que par corolaire « les maîtres de l'ouvrage, […] n'avaient pu bénéficier de la présomption de responsabilité à l'encontre des constructeurs, ce qui empêchait par conséquent l'assureur dommages-ouvrage subrogé dans leurs droits d'en bénéficier ». Selon la SMABTP, sa garantie n’était pas due car le lot affecté par les désordres, a été réceptionné sans réserve.

La Cour de cassation suit cette argumentation et casse l’arrêt d’appel au visa des articles 1792 du Code civil et L. 241-1 du Code des assurances selon lesquels « l'assurance obligatoire de responsabilité décennale ne garantit pas les désordres apparents qui, quel que soit leur degré de gravité, sont couverts par une réception sans réserve ». De même, il résulte de l’ensemble des articles L. 121-12 du Code des assurances et les articles 1251, 3º, et 1252 du Code civil (dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance nº 2016-131 du 10 février 2016) appliqués à l’espèce que « le désordre apparent avait été couvert par la réception sans réserve, de sorte que les maîtres de l'ouvrage ne disposaient d'aucun recours sur aucun fondement à l'encontre de la société Dematteo ».

Éléments d’analyse

La responsabilité civile décennale des articles 1792 et 1792-2 du Code civil n’implique pas automatiquement la responsabilité du constructeur : présomption de causalité, elle implique que soit démontrée en amont l’imputabilité du dommage causé par le constructeur. À cela s’ajoute l’exigence de démonstration de la gravité du dommage ainsi que l’obligation de rapporter la preuve du caractère caché des désordres invoqués à la réception. Pour mémoire, il incombe au maître ou à l'acquéreur de l'ouvrage qui agit sur le fondement de l'article 1792 du Code civil d'apporter la preuve du caractère caché des désordres (Cass. 3e civ., 2 mars 2022, n° 21-10.753, B).

A contrario, les dommages apparents ne relèvent pas de la garantie décennale. S’ils sont réservés, ils sont couverts par garantie de parfait achèvement, dans le cas contraire ils sont irréparables : « la réception a pour effet de purger les vices apparents non réservés » (Le Lamy Droit de la responsabilité, n° 425-10), la garantie décennale ne couvrant en principe que les dommages demeurés cachés lors de la réception (ibid., n° 425-19). Ce qu’indique clairement en l’espèce la Cour de cassation : « l'assurance obligatoire de responsabilité décennale ne garantit pas les désordres apparents qui, quel que soit leur degré de gravité, sont couverts par une réception sans réserve ».

Et s’il est admis que le maître d’ouvrage ne disposait pas de recours contre la société Dematteo, la MAF, subrogée dans les droits du maître de l'ouvrage, n’en disposait pas non plus. Il s’agit d’un deuxième rappel de la Cour de cassation en cette espèce : « le subrogé ne peut avoir plus de droits que le subrogeant ». La Haute juridiction le rappelle régulièrement (Cass. 1re civ., 2 févr., 2022, n° 20-10.855, B).

Enfin, précise la Cour en un troisième temps et au visa de l’article 553 du Code de procédure civile, un jugement qui rejette une demande de paiement in solidum contre plusieurs défendeurs ne crée aucune indivisibilité entre eux (voir l’actualité dédiée).
Source : Actualités du droit